Liberté chérie

Publié par Emanciper le

LIBERTE CHERIE

Par Gérard Volat

En cette période de tensions où les lois liberticides s’ajoutent les unes aux autres, où le pouvoir crée la division entre les français, il nous a semblé pertinent d’interroger à la fois notre régime et la notion de liberté.

Nous nous appuierons sur les analyses du philosophe Jean-Paul JOUARY qui nous éclaire sur la pensée politique de Jean-Jacques ROUSSEAU dans son live « Rousseau, citoyen du futur »*, en commentant certains passages du « Contrat Social » datant d’avril 1762, livre précieux pour qui veut penser le futur politique.

Sur notre régime :

– Première idée : le peuple ne peut être représenté. Rousseau n’ignore pas qu’il y a différentes formes de gouvernement comme la monarchie, l’aristocratie ou la démocratie. Rousseau prend ces trois mots au sens propre, et non au sens où nous les entendons trop souvent aujourd’hui.

Monarchie signifie prédominance d’un seul gouvernant (mono) et non pas royauté. Ainsi l’actuelle Angleterre a-t-elle une reine sans aucun pouvoir et un parlement qui peut renverser l’exécutif, le premier ministre : il s’agit donc d’un régime parlementaire.

La France actuelle n’a pas de roi mais son président peut dissoudre l’Assemblée et même supprimer les libertés publiques : il s’agit donc au sens propre d’une monarchie élective.

Rousseau évoque donc la monarchie comme un système où le peuple confie le gouvernement à une personne qui se détache des autres dans sa considération, qu’elle soit ou non élue au suffrage universel. Il évoque aussi l’aristocratie, c’est à dire non pas le pouvoir de la noblesse mais, au sens propre, le pouvoir des meilleurs (du grec aristos).

En ce sens, l’Angleterre est ainsi, comme les États-Unis ou l’Allemagne une aristocratie élective, puisque pour l’essentiel, les pouvoirs sont confiés à un groupe de personnes.

Il évoque enfin la démocratie au sens propre, c’est à dire le pouvoir exercé en totalité par l’ensemble du peuple. Et en ce sens, il n’existe aujourd’hui que très peu de régimes démocratiques : ce fut le cas de la plupart des tribus qui palabraient avant de décider. Parmi les pays dits développés, seule la Suisse s’en approche puisque les élus y sont toujours soumis à la possibilité de référendums (les votations imposées par un groupe de citoyens).

En ce sens propre du mot démocratie, la France, par exemple, n’en est pas une, puisqu’il est courant d’entendre ses gouvernants expliquer qu’ils ne veulent pas organiser de référendum auquel les citoyens risqueraient de répondre « non ».

(Le souvenir encore vif dans les mémoires du vote du traité constitutionnel européen, en 2005 où le peuple a voté « non » à 55 % retoqué en 2008 par le traité de Lisbonne et le seul parlement (députés et sénateurs) votant « oui » à 96 %, à la place du peuple, confirme bien que notre système est anti-démocratique mais relève plutôt d’une oligarchie élective avec un monarque président possédant quasiment tous les pouvoirs).

Rousseau évoque ces trois systèmes, mais l’essentiel pour lui se trouve ailleurs : la question décisive à ses yeux concerne la possibilité pour le peuple de conserver ou non sa pleine souveraineté. Écoutons ce qu’il disait du peu de suffrage qui existait alors de l’autre côté de la Manche :

Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien.

Et Rousseau d’ajouter sobrement :

Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde.

C’est que, pour lui, la liberté ne saurait consister à confier par le suffrage tout le pouvoir à un ou plusieurs hommes. Ce prétendu contrat est un marché de dupe car dans un contrat, commercial par exemple, si la liberté de dénoncer le non-respect du contrat ne fait pas partie de l’échange, tous les vols sont possibles. C’est pourquoi il est liberticide d’élire des gouvernants de sorte qu’ils puissent après le vote considérer qu’ils peuvent décider ce que bon leur semble sans que le peuple puisse se prononcer.

(Avec le RIC en toutes matières par exemple, initié par le peuple et la possibilité d’écrire des lois y compris constitutionnelles, les supprimer, tout comme révoquer un élu»)

Le « contrat social » de Rousseau n’est donc pas un contrat entre le peuple et le pouvoir, auquel on déléguerait le droit de diriger.

C’est un contrat entre le peuple et lui-même, une volonté qui émerge d’un débat conduit collectivement et rationnellement, et aux termes duquel le peuple confie par suffrage à une ou plusieurs personnes non pas le droit de décider mais le devoir d’appliquer les décisions prises.

(Le mandat donné est donc impératif et contrôlé en permanence-reddition de comptes, révocation possible d’un délégué …)

Gouverner, c’est tenir le gouvernail, cela n’a rien à voir avec la définition du cap à suivre !

Pas de possibilité donc de re-présenter le peuple.

« La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté générale ne se représente point (…)

Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. (….)

Dans les anciennes républiques et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut de représentants ; on ne connaissait pas ce mot-là ».

 Ces paroles résonnent sans doute curieusement à nos oreilles de « démocrates » habitués à chercher des bergers providentiels pour leur confier tous les pouvoirs.

(A suivre)

Dans un prochain article nous aborderons la notion de liberté et de lois.

Rousseau, citoyen du futur, Jean-Paul Jouary, Livre de poche 2012

Rousseau, citoyen du futur

Du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau, Flammarion