ÉLUS et ADMINISTRÉS ou MAÎTRES et VALETS ?
Par Gérard VOLAT
Non, nous ne sommes pas dans une comédie du XVIIIème siècle, chez Marivaux et Beaumarchais mais bien au XXIème siècle, plus de 230 ans après la révolution française. La monarchie de droit divin a été remplacée par une monarchie républicaine. La bourgeoisie d’affaires s’est substituée à la noblesse et le « libéralisme » est devenu la nouvelle norme. La hiérarchie du sang a été remplacée par celle de l’argent. Cette nouvelle classe a rejeté « la démocratie réelle » pour lui privilégier le suffrage universel censitaire indispensable à ses intérêts économiques.
Les « lumières » de Voltaire, le libéral, n’étaient pas les mêmes que celle de Rousseau, le défenseur de la démocratie directe.
Aujourd’hui, en 2021, quelle est la légitimité pour des élus avec une abstention autour de 70 % ? Et si l’on y ajoute les non inscrits, les bulletins blancs et nuls, voilà au final des équipes municipales, départementales, régionales élues avec moins de 20 % des inscrits.
Et que dire de la présidentielle de 2017 où le monarque élu obtient en réalité environ 16 % de voix au premier tour car c’est bien le premier tour qui compte, 84 % de personnes n’ayant pas souhaité donner leur voix à ce candidat du « monde des affaires ».
Quelle légitimité ? Aucune. Ce n’est pas encore la panique électorale comme dans le roman de José Saramago (1) où, à l’heure du dépouillement, 83 % des électeurs ont voté blanc. Le chaos s’installe, le gouvernement crie à la conspiration, déclare l’état de siège, le pouvoir se lance dans une chasse aux sorcières et la presse se déchaîne contre les coupables désignés.
Cette dystopie est-elle si éloignée de notre période actuelle ?
De tels résultats, ce boycott des urnes devrait logiquement inciter tous ces « élus » à de la modestie, de l’humilité. Pas du tout. Après deux jours de discours sur le ton « navré, désolé », de cette absence de participation, de constat d’une « démocratie » fatiguée, en crise, malade, épuisée, anémiée, c’est le retour aux affaires et aux décisions arbitraires, verticales, au service des plus riches.
Nous sommes donc dans une impasse. Tous ces élus « anti-démocrates patentés mais non assumés » s’interrogent-ils sur les mécanismes institutionnels qui provoquent de plus en plus d’abstentionnisme ? En aucune façon.
Comme le souligne le philosophe Jean-Paul Jouary (2) « L’élu aura forcément tendance à considérer qu’il a été choisi pour ses qualités et idées personnelles et non pour appliquer les idées du peuple lui-même. Au lieu de considérer la responsabilité de gouverner comme un devoir, il finira vite par la considérer comme un pouvoir. Et le peuple des citoyens lui-même finira par considérer qu’il a choisi l’élu pour le diriger, et non pour lui obéir ».
C’est « l’hubris », la démesure, cette volonté de puissance, l’ivresse de la conquête du pouvoir, la volonté de le garder, tout ce qui caractérise le « politicien professionnel » qui cumule les mandats, au service d’intérêts particuliers, contre le « bien commun ».
Certains philosophes, penseurs nous avaient alerté :
« Le pire des maux est que le pouvoir soit occupé par ceux qui l’ont voulu » Platon
« Le trait le plus visible dans l’homme juste est de ne point vouloir du tout gouverner les autres et de gouverner seulement lui-même. Cela décide tout. Autant dire que les pires gouverneront. » (3)
Ainsi, « l’élection produit des maîtres hors contrôle », « Bien des abus de pouvoir – et bien des négligences du bien commun- trouvent sans doute de profondes racines dans ce sentiment de supériorité de « l’élu », qui naît forcément de cette procédure aristocratique qu’est l’élection parmi des candidats » (4)
Alors, que faire ? Comment réagir face à ce système aliénant ?
Comment sortir de cette apathie, de cette servitude volontaire qui perdure depuis la fin de la révolution française où la « bourgeoisie » s’est substituée au pouvoir royal avec l’aide du peuple instrumentalisé ?
Une des pistes que nous propose Cornélius Castoriadis (5) est celle de l’autonomie, l’instauration d’une société autonome comme horizon de sens. « L’autonomie » comme le précise Serge Latouche (6) que nous citons « est à prendre au sens fort, au sens étymologique (du grec autos-nomos, qui se donne ses propres lois), en réaction contre l’hétéronomie de la main individuelle de la concurrence, de la dictature des marchés financiers et des diktats de la technoscience dans la société (sur)moderne »
L’autonomie, dans le domaine de la pensée, c’est l’interrogation illimitée ; qui ne s’arrête devant rien et qui se remet elle-même constamment en cause. L’autonomie, c’est l’autre nom de la démocratie directe, « des hommes assemblés se donnant à eux-mêmes leurs propres lois » et « sachant ce qu’ils font ». De ce fait, comme chez Rousseau, le rejet du système « représentatif » est total.
Aujourd’hui, en 2021, nous dépendons de la loi fondamentale, la constitution, celle de 1958, qui ne permet pas au peuple d’exercer sa souveraineté.
Jean-Michel Toulouse, dans sa thèse, propose d’en finir avec le système représentatif : « D’une souveraineté populaire proclamée, on a dérivé vers une souveraineté nationale pour aboutir à une souveraineté parlementaire, qui donne une quasi-indépendance de l’élu par rapport à ses électeurs » (7)
« La souveraineté, étant indivisible, elle ne peut s’aliéner à des représentants. Sinon, le corps législatif devient un nouveau monarque, collectif celui-ci. La souveraineté, étant incessible, elle doit s’exercer directement. L’élu étant le mandataire de ses électeurs, ceux-ci ont un droit de révocation. Le mandat représentatif ôte la souveraineté des mains du peuple pour la remettre à ses « représentants ». Seul le mandat impératif peut la lui rendre. Le mandat représentatif est donc l’organisation légale du dessaisissement des électeurs ».
Le gouvernement « représentatif » ne représente en fait que l’Assemblée et le Président mais non le corps électoral. Le pouvoir est bel et bien confisqué. La souveraineté du peuple reste théorique, une fiction. Il ne contrôle en aucun cas le gouvernement et le Président.
Afin de lutter contre cette dérive où la souveraineté nationale est une simple théorie de légitimation de la représentation, il faudrait pouvoir disposer de plusieurs armes :
* Le droit d’initiative législative, d’abrogation législative
* Le droit de révoquer les élus
De fait, un changement de constitution est incontournable si l’on veut changer la donne, et permettre une transformation sociale radicale, anticapitaliste indispensable.
Non pas des régressions déguisées en réformes comme l’ont pratiqué ces dernières décennies les dominants, mais l’introduction du R.I.C constituant (8) avec, entre autres, une modification de l’article 89, l’article 11 et l’article 3 afin que le peuple puisse devenir lui-même « constituant », avoir l’initiative comme cela se pratique couramment en Suisse et ne plus jamais subir l’arbitraire de ces élus qui pensent comme Barnave l’exprimait lors de la période révolutionnaire : « Vous ne m’avez pas élu pour représenter vos intérêts, mais les miens » (9)
* 1 José Saramago, la lucidité, éditons du Seuil, 2006
* 2 Jean-Paul Jouary, Rousseau, citoyen du futur, le Livre de poche, 2012
* 3 Alain, Propos sur les pouvoirs, 10 décembre 1935
* 4 Etienne Chouard, Nous ne sommes pas en démocratie!, la relève et la Peste, 2017
* 5 Cornélius Castoriadis, Une société à la dérive, Paris, Seuil, 2005
* 6 Serge Latouche, Cornélius Castoriadis & l’autonomie radicale, le passager Clandestin, 2014
* 7 Jean-Michel Toulouse, Histoire et critique du système capitaliste-représentatif,
Volume 1, l’Harmattan, 2017
* 8 Lire les propositions de modifications de la Constitution par le MCP, Espoir RIC- Clara Egger, le Cahier n°1 de la France Insoumise (Démocratie et libertés – pour une 6ème république)
www.espoir.ric.fr www.mouvement-constituant-populaire.fr
* 9 Barnave, homme politique, avocat, né à Grenoble en 1761, membre de l’assemblée constituante, du club des jacobins puis du club des feuillants (monarchistes constitutionnels), partisan du suffrage censitaire, mort guillotiné le 29 novembre 1793.